Resumen
Tout homme peut traverser, tout au long de sa vie, des conditions difficiles qui le rendent vulnérable. Toutefois, l'idée de vulnérabilité convient mieux à l'homme ou aux groupes d'hommes appartenant à une classe potentiellement ou socialement désavantageuse qui les marginalise d'une façon certaine. Ainsi ont-ils besoin d'une attention et des soins particuliers de la part de la société. Tant le droit que l'éthique sociale doivent prévoir des règles pour traiter ce phénomène.
L'humanisme postmoderne, fondé sur la dignité personnelle, requiert une attention spéciale tant éthique que juridique à l'égard de l'homme vulnérable. L'autre, différent puisque vulnérable, doit bénéficier d'une protection renforcée. Car il est plus facilement exposé aux dangers de la réification de sa personne. Les législateurs international et national se montent de plus en plus attentifs à la protection des droits des personnes vulnérables. Plus spécialement, au niveau international, La Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l'homme et la Convention européenne sur les droits de l'homme et la biomédecine et au niveau national, la loi du 4 mars 2002 et celle du 9 août 2004 en constituent des exemples les plus caractéristiques
Mais avant tout, la vulnérabilité devient une prise de conscience de l'altérité comme existence souffrante qui m' interpelle au nom de la solidarité humaine. Cette situation ne dépouille point l'homme fragilisé de sa pleine humanité et de son entière dignité. Car la détresse, le handicap ou les inconvénients de l'âge, affectant la structuration de l'existence, ne doivent pas dévaloriser le statut ontologique de l'homme dans sa qualité de personne.
Une véritable éthique de la vulnérabilité est dès lors loin de prôner la compassion ou la pitié pour toute personne en difficulté. Elle doit comprendre et entourer les individus défavorisés qui ne doivent pas être abandonnés dans une solitude existentielle, figés dans les douleurs et les tourments personnels, et nourries de l'impression qu'ils sont différents des autres.
Avant d'évoquer des droits légaux, l'éthique de la vulnérabilité fait promouvoir des droits individuels moraux qui écartent la distinction binaire normalité/anormalité du statut ontologique de l'homme, tout en défendant la solidarité comme facteur indispensable à une vie socialement authentique. Ainsi à côté de la liberté, la légalité et la fraternité comme des revendications existentielles nécessaires pour chaque personne, la vulnérabilité se présente comme un mode d'être de la condition humaine et implique par là un droit au respect de la vulnérabilité. Il s’agit d’ un droit personnel à part entière et par là, il peut être vécu pleinement et au même titre que les autres droits individuels voire plus: les trois autres droits ne sauraient revendiquer leur place méritée dans une société démocratique sans la reconnaissance du droit au respect de la vulnérabilité.
De son côté, la philosophie chrétienne perfectionne et affine cette éthique à la lumière de son idée fondamentale : l'agapè, terme grec qui demeure intraduisible en tout autre langue.
Dans la perspective chrétienne, la vulnérabilité ne donne pas dès lors lieu à l'affirmation d'un droit individuel au profit de la personne en difficulté. La vulnérabilité ouvre un espace relationnel où l'altérité souffrante m'engage dans la vie christique qui est l’affirmation de la plénitude de toute vie personnelle.
Pour protéger la vie de toute personne sinistrée, l'éthique personnaliste a instauré un espace sacral laïque où loge la vie comme valeur suprême. Elle fait donc objet du droit sous forme de droit à la vie. Il en est tout autrement pour la philosophie chrétienne en matière de l’éthique de la vulnérabilité.
La dignité humaine, issue de la conception de l'homme à l'image de Dieu, débouche sur l'espace de l'agapè. Ici la vie personnelle est envisagée comme participation au logos personnifié qui est le Christ. Vivre, c'est un mode de vivre et de se manifester comme créature à l'image de Dieu. Cela signifie que la subjectivité personnelle est pleine d’énergie et de liberté morale qui créent les relations d'altérité en société et engagent la personne devant Dieu. Il s'ensuit que le sens de la vie ne se trouve pas en elle-même mais dans une transcendance qui tire sa vigueur de l'agapè. Dès lors au « rien n’a de sens a priori » -qui n’est pas inconciliable avec l’euthanasie- se juxtapose et s’oppose l'affirmation agapique de la vie qui traverse la dogmatique chrétienne.
Ainsi, l'éthique de la vulnérabilité dans la perspective chrétienne, au lieu de réduire la vie à un droit individuel à la vie et prospecter éventuellement sur un droit à la mort, considère la vie dans sa dimension irréductible et ontologiquement incompatible avec toute sorte de négation de la personne humaine, négation justifiée au nom de la surpression de la souffrance. Suivant la vie christique, la vie constitue une affirmation de l'être de l'homme en tant que personne à l'image de Dieu. Elle est : elle est donc foncièrement ontologique.